Les Jugements d’animaux au Moyen-Âge
Article mis en ligne le 19 mars 2017
dernière modification le 16 mai 2023

par Yannick
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Si d’aventure vous passez par Chaillac (Indre), arrêtez-vous au lieu-dit « Le chat-pendu » et imaginez pour quels méfaits ce félin domestique aurait subi un tel châtiment.

En Occident, pendant un millénaire, des procès ont visé les animaux nocifs ou agressifs qui détruisaient, blessaient ou tuaient. Considérés comme ennemis de la société ou meurtriers, ils devaient subir un châtiment.

Ce principe était connu dès l’Antiquité.
« Dans le cas où la mort d’un homme est causée par un animal (…) les proches du mort devront intenter contre l’animal des poursuites pour meurtre. Si l’animal est reconnu coupable, on le mettra à mort, et le cadavre sera rejeté hors des frontières du pays. » [Platon (Les lois, IX 874)]
« Si un taureau frappe de sa corne un homme ou une femme et qu’ils en meurent, il sera lapidé et l’on ne mangera point de sa chair. » [Bible (Exode, XXI, 28)]

En France, du XIIIe au XVIe siècles, jugés responsables de leurs actes et agissements, considérés comme des êtres moraux et perfectibles, les animaux étaient placés au même niveau que l’homme dans la jurisprudence. Leurs délits les soumettaient donc à la justice.

L’histoire de la jurisprudence nous offre à cette époque de nombreux exemples de procès dans lesquels figurent des taureaux, des vaches, des chevaux, des porcs, des truies, des coqs, des rats, des mulots, des limaces, des fourmis, des chenilles, sauterelles, mouches, vers et sangsues.
La procédure que l’on avait adoptée pour la poursuite de ces sortes d’affaires revêtait des formes toutes spéciales. Elle était différente, suivant la nature des animaux qu’il s’agissait de poursuivre et la nature de leurs actes.

Le tribunal ordinaire
Comme tout meurtrier, l’animal domestique qui commettait des dommages envers l’être humain devait subir un procès civil. L’animal était capturé vivant et incarcéré dans la prison appartenant au siège de la juridiction criminelle du lieu ; celle-ci dressait procès-verbal, conduisait une enquête et mettait l’animal en accusation ; le juge entendait les témoins, confrontait les informations et rendait sa sentence, qui était signifiée à l’animal dans sa cellule. Cette sentence marquait la fin du rôle de la justice, l’animal appartenait désormais à la force publique chargée d’appliquer la peine et pouvait relever du bourreau. L’exécution (pendaison, décapitation, bûcher, enterrement vivant) était publique et s’effectuait en présence des parents de la victime humaine et du propriétaire de l’animal incriminé et fautif. Quelquefois, l’animal paraissait habillé en homme.

Au début du règne d’Henri II, en 1548, le bailli du Bas-Bourg de Valençay (Indre) a condamné une truie à être pendue et étranglée jusqu’à ce que mort s’ensuive. Au début du mois de janvier, cette bête avait mordu plusieurs fois une fillette qui mourut de ses blessures.
Après son jugement, la truie fut condamnée à être pendue. « Le jour et l’heure étant annoncés, toute la population se porta au lieu désigné. Ce n’était pas fourches patibulaires, on ne voulait pas y pendre un simple animal. On s’assembla devant un grand poirier qui, probablement, se trouvait non loin de l’endroit où la petite fille avait été tuée par la truie. On peut aisément se représenter combien était émue et bruyante cette foule populaire, de quelles épithètes on accabla l’affreuse bête, quand elle apparut traînée par la corde et faisant retentir l’air de son horrible grognement. Les enfants étaient bien certainement aux premiers rangs et les plus bruyants de tous les spectateurs. Si on les eût laissé faire, la truie aurait été lapidée par eux, comme aux anciens jours. Mais la justice eut son cours régulier. La sentence portait que la dite truie serait pendue au poirier par les jambes de derrière et étranglée jusqu’à ce que mort s’ensuive. [Elle] fut Ponctuellement exécutée [...] Et bien réellement... la mort s’ensuivit.
Cette mort impressionna grandement le peuple et surtout les enfants. Longtemps, longtemps, ils en parlèrent. Longtemps, on parla, à Valençay et aux environs, de la ch’tite treue du Bas-Bourg. »
 [1]

Les procès d’animaux étudiés par les historiens montrent que le porc apparaît comme l’animal le plus incriminé, son grand nombre et sa divagation le mettant plus à même de commettre des méfaits que d’autres animaux. Sur 99 procès d’animaux étudiés entre 1166 et 1845, figurent 36 porcs. Quelques exemples :
 1266 : pourceau brûlé à Fontenay-aux-Roses pour avoir dévoré un enfant.
 Septembre 1394 : porc pendu à Mortaing pour avoir tué un enfant.
 1404 : trois porcs suppliciés à Rouvres, en Bourgogne, pour avoir tué un enfant dans son berceau.
 24 décembre 1414 : à Abbeville, petit pourceau traîné et pendu par les pattes de derrière, pour meurtre d’enfant.

En 1499, un jugement du bailliage de l’abbaye de Beaupré, ordre de Cîteaux, près de Beauvais, rendu sur requête et information, condamna à la potence un taureau « pour avoir par furiosité occis un jeune fils de quatorze à quinze ans » dans la seigneurie du Cauroy qui dépendait de cette abbaye.

Quelques animaux, au cours du procès, pouvaient sauver leur vie.
Ainsi, à Orléans, le 18/10/1368, les pourceaux accusés d’avoir causé la mort d’un enfant furent acquittés, le juge estimant que la victime était morte de peur et non des mutilations causées par les animaux.

Certaines bêtes jugées à tort furent même réhabilitées.

A partir de la seconde moitié du XVIe siècle, on ne fit plus de procès à la bête malfaisante dont seul le propriétaire était condamné à une amende et des dommages-intérêts.

Des noms de lieux conservent le souvenir de ces pratiques :
 La truie pendue à Vennecy (45)
 La chèvre pendue à Fleury-les-Aubrais (45) et Landelles (28)
 La vache pendue à Trainou (45) lieu-dit connu dès le XVIIe siècle [2] et Dhuizon (41)
 La biche pendue à Trainou (45) lieu-dit connu dès le XVIIe siècle [3]
 La cane pendue à Villemoutiers (45)
 La haie du chien pendu au Pavé de Juranville (45)
 Le chat pendu à Alaincourt-la-Côte (57), Arcey (25) et barbezizux-Saint-Hilaire (16)

Le tribunal ecclésiastique
Par ailleurs, la justice ecclésiastique s’exerçait sur les bêtes reconnues coupables d’avoir transgressé la foi et un animal pouvait être condam¬né pour avoir été l’instrument du sorcier ou simplement préjudiciable à l’Homme. La sentence était la mort ou l’excommunication.

Ce fut vers la fin du XIIe siècle que l’on s’avisa d’excommunier tous les animaux nuisibles. On les faisait assigner « par devant les officiaux ». On leur donnait des avocats et, sur instruction faite aux frais des parties civiles et débats contradictoires, on les excommuniait solennellement.
A Levroux (Indre), chaque année, le jour de l’Ascension, le dernier vicaire du Chapitre de Saint-Sylvain était tenu de se rendre processionnellement de l’église collégiale à la tour du Bon-An (château du Châtelet), et du haut de cette tour, il excommuniait les hannetons, fléau des campagnes environnantes.

Dès le Moyen-Âge, l’Eglise se méfiait des chats (surtout des noirs !) considérés comme émissaires du Diable, dotés d’une influence démoniaques. La dilatation de leurs pupilles quand ils chassent au crépuscule, le reflet de la lumière de leur rétine dans l’obscurité ajoutait à leur mystère et à la défiance qu’ils suscitaient. Ils furent tant et si bien persécutés qu’au XVIIIe siècle ils devinrent rares en Europe. Certaines légendes de nos provinces ont conservé le souvenir de leurs Sabbat, notamment en période de Carnaval.

Vers Eguzon (Indre), on racontait que les chats tiennent Sabbat sur un « carroir », au pied d’une croix, pendant la nuit du Mardi Gras et du mercredi des Cendres. [4]
Gilbert Bouchaud, mémoire vivante de Baraizes (Indre), rappelle : « Le soir du carnaval, à la maison, la grand-mère virait la chatte dehors en disant "Va chercher ta souris à la croix de la jette... [à Vigoux]." La grand-mère n’y croyait pas, mais le faisait. [...] On racontait aussi que les chats vont danser cette nuit-là, à la croix de la Jette, mais que les faignants n’y sont pas admis : on les reconnaît à leur derrière roussi au feu de l’âtre, car ils sont trop longtemps restés se chauffer près du foyer... » [5]

Et c’est ainsi, sans doute, qu’à Chaillac, un chat fut jugé et pendu pour faits de sorcellerie ou autre diablerie.

Philippe HUET
Union Berrichonne du Loiret

Autres sources :
 Emile Agnel, « Procès-fait jadis aux animaux », 1858
 Brigitte Rochet-Lucas, « Rites et traditions populaires en Bas-Berry », imp. Badel, Châteauroux – 1980
 M. Desplanque, « L’Eglise et la féodalité dans le Bas-Berry au moyen-âge »
 « Le chat et les sorcières. » in http://asiacat.free.fr 2009

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